NARUTOMANIA

Après avoir longtemps snobé l’univers du manga et de l'animation japonaise, laissant aux chaînes privées (TF1 et Canal+ essentiellement) le monopole français de celui-ci dans les années 90, FT se rattrape significativement cette année en diffusant les (longues) aventures de la megastar des adolescents alias Naruto, non sans céder à la censure et à la VF bas de gamme comme l’ont fait et le font encore parfois les chaînes concurrentes. Et pour marquer le coup, "Envoyé Spécial", l’une des émissions phare de France 2, consacrait en ce Jeudi 28 juin 2007, en prime time, l’un de ses reportages au succès des œuvres nipponnes dans nos vertes contrées. "Un monde à l’envers" est le titre de celui-ci, c’est également la métaphore qu’ont filée Florent Muller, Frédéric Bazille, Mathieu Dreujou, Gweltaz Kergoat et Annie-Claude Bequet, les journalistes qui se sont penchés sur ces problématiques, qu’ils avancent par ailleurs avec la clarté d’un mémoire universitaire : "Quelle est la raison du succès de ces manga ? " ; "Comment des créatures inventées au pays du soleil levant ont-elles conquis notre pays ?". À défaut d’être exhaustifs sur le pourquoi du comment (qui pourrait se prétendre l’être ?), le travail réalisé est propre, sobre et fait preuve d’une grande prudence qui pousse parfois le reportage dans les ornières des lieux communs, aussi bien dans la réalisation que dans plusieurs des explications. Très académiquement, celui-ci débute par un état des lieux du marché français : avec 10 millions de manga vendus dans l'hexagone, soit un peu moins de 50% du marché de la BD, la France est l’autre pays du manga, une idée définitivement ancrée dans la doxa qui s’exprime de manière moins prosaïque au cours du reportage : "en 20 ans l’encre de Chine a envahi le pays de Bécassine". Autre constat : "La moyenne d’âge est de 15 à 35 ans", le temps des manga qui pervertissent nos petites têtes blondes est décidément révolu, il était temps. Le dernier constat, "aujourd’hui, les libraires leur tressent des lauriers, les manga sont devenu un genre respecté", clôt tout doute sur les intentions des journalistes : l’objectivisme est de mise, l’investigation peut avoir lieu.
Et celle-ci débute doublement : par la rencontre en filigrane avec Hirata Hiroshi, célèbre auteur de gekiga (manga dramatiques) tels que Satsuma, et par une rétrospective des débuts du manga et le retour sur ces noms archaïques que sont Goldorak, Candy et à une moindre mesure, Dragon Ball et Albator. Le point commun entre les deux éléments étant qu’ils ont tous bercés au moins deux générations en France et au Japon. Notons que dans ce reportage, le mot manga au sens strict et le mot anime sont associés sous le même néologisme, manga.
Enquête au pays du soleil levant C’est justement sur l’archipel que se sont rendus les journalistes, afin de "remonter à la source", là où "un bon dessin vaut tous les slogans" : Tôkyô. Les trois quarts du reportage sont consacrés à cette excursion sur l’archipel nippon, pour rentabiliser le voyage sans doute, pour collecter des informations aussi utiles aux journalistes qu’aux destinataires du reportage, sûrement. Ainsi, pour récolter les signes vitaux du marché manga, ils se sont d’abord dirigés, en amont, vers la production dans le cadre de laquelle ils ont rencontré "le père du corsaire de l’espace" Albator alias Matsumoto Leiji et les travailleurs du studio de la Toei ("le Disney asiatique (…) fondé en 1951"). En aval, la question de la prépublication des planches est abordée (mention des magazines shônen, shôjo) ainsi que celles de leur vente (à Tôkyô le centre commercial surnommé "le temple du manga" réalise 30 millions d’euros de CA) et de leur consommation : seul ou en groupe, dans les manga kissa ou dans le métro bondé comme on lirait un journal gratuit durant une vingtaine de minutes avant de le jeter. Enfin comme une demi transition vers le marché français, est amorcé le problème de la réception du public, au travers d'exemples tels que les menaces proférées par certains otaku à l'encontre des mangakka et/ou producteurs, ou comme les séances de dédicaces où des otaku façon Densha Otoko viennent se faire adouber par leurs idoles. Le tour du marché est plutôt bien réalisé et cohérent, il en ressort une explication efficace de la logique de marché dont sont issus les manga : au cours d’une série un auteur peut interagir avec ses lecteurs pour s’adapter à leurs envies, en faisant disparaître un personnages peu populaire : le Japon a ses séries papier, les USA ont leurs séries télé !
On s’en sera douté, rien de bien exclusif ni original dans cette partie qui a toutefois le mérite de présenter de jolies images de Tôkyô et énonce quelques pistes pour résoudre la problématique. Au Japon, "il n’est (...) pas une pharmacie qui ne possède [sa créature animée]", des créatures aux traits rondouillards "étrangement familiers" : et pour cause, l’incursion des dessins japonais ne s’est pas faite seulement à l’aide de ces héros animés mais aussi par l’intermédiaire vidéoludique qui a fait que "l’imaginaire manga nous travaille déjà depuis longtemps". De fait, "devant Tintin et Spirou, les plus jeunes se sentaient comme étrangers" : la première conclusion constitue également la transition vers le second élément d’explication du succès, à savoir le fameux "generation gap". Les nouvelles générations sont dites moins naïves et aspirent à de nouveaux univers oniriques et modes de narration, à portée émotionnelle et relatant la vie quotidienne. Néanmoins, si l’issue de la réflexion se tient, les interviews de jeunes lecteurs français se révèlent aussi inutiles que succinctes : le reportage se fonde uniquement sur l’opinion d’auteurs tels que de Jean David Morvan (auteur de Spirou et Fantasio à Tokyo).
Un savoureux arrière-goût de mea culpa Ici, dans le transit du manga vers la France, interviennent les éditeurs, véritable pont entre la France et le Japon. Ici aussi, la prudence est de mise pour Jean Louis Gauthey des éditions Cornélius qu’on a connu beaucoup plus en verve, notamment lors de sa rencontre avec Thierry Bellefroid auteur des Editeurs de bande dessinée (2). Pourtant, il est en France l’un de ceux avec qui les œuvres de qualité surnagent au dessus des œuvres commerciales, comme cela a été le cas lors de la dernière édition du festival d’Angoulême marqué par le prix du meilleur album remporté par Mizuki Shigeru avec Nonnonba. Ainsi, FT clôt deux préjugés que l’univers manga traînait depuis trop longtemps comme l’aspect commercial donc insipide de celui-ci ; un premier effort néanmoins lésé par l’autopromotion du titre phare de la chaîne publique : Naruto en VF qui plus est. Mais on peut le pardonner car, plus intéressant, l’une des phrases d’introduction sonne sèchement le glas libérateur du pire cliché manga que l’on connaissait : "On a dit ces albums violents, hideux, inoculés par des sadiques aux noirs dessins. On a tout entendu, on n'avait rien compris.". Ces phrases résonnent presque comme un aveu, celui des chaînes publiques passées trop longtemps à coté de l’éveil grandissant d’une passion pluri-générationnelle, celui aussi d’une opinion commune amenée à changer car le marché l’a forcée à s’y intéresser.
C’est là la principale leçon qu’il faut en retenir ; le reportage n’est pas une étude de fond, c’est une initiation mêlée d’une réhabilitation du genre. On ne peut que saluer cette initiative et espérer que, la porte une fois enfoncée, de nouveaux reportages plus poussés puissent enfin pérenniser le manga dans une position dénuée de clichés grotesques. Et cela, ce n’est pas sur les chaînes privées que l’on pourra y assister... Cela dit, "Envoyé Spécial" a frôlé l’incident diplomatique digne du privé jeudi soir en enchaînant sans transition du manga à l’échec scolaire… concernant l’orientation : il s’en est fallu de peu !
Thomas Chibrac

Le phénomène Naruto débarque en France
Un temps annoncé sur une chaîne hertzienne, c’est finalement Game One qui aura le privilège de diffuser l’anime de Naruto à partir du 2 janvier 2006, dans une version non censurée, mais apparemment en VF.Et ce n’est pas tout puisque le 20 janvier 2006, un coffret digipack contenant les 13 premiers épisodes de la série en VO et VF, sortira chez le nouveau label Kana Home Video. Ce dernier, créé spécialement pour l’occasion, appartient au groupe Dargaud, tout comme Kana, qui édite le manga de Naruto (20 tomes pour le moment).Synopsis : Naruto est un garçon un peu spécial. Solitaire au caractère fougueux, il n’est pas des plus appréciés dans son village. Malgré cela, il garde au fond de lui une ambition : celle de devenir "Hokage", la plus haute distinction dans l’ordre des ninjas, et ainsi obtenir la reconnaissance de ses pairs mais cela ne sera pas de tout repos...Pierre-Alexandre Conte

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lundi 20 octobre 2008

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